L’addiction au sucre: existe-t’elle vraiment?

L’addiction au sucre: existe-t’elle vraiment?

Les rages de sucre, vous connaissez? Ces moments ou la tentation d’avaler biscuits, chocolat ou autres douceurs vient chatouiller votre esprit au point d’y succomber… un peu trop fortement! Est-ce normal? Est-ce plutôt que vos habitudes alimentaires vous ont maintenant rendu accro au sucre, comme si c’était une drogue? Regardons ce phénomène de plus près.

Les médias l’ont fort publicisé : le sucre serait une drogue encore plus puissante que la cocaïne. Cette affirmation provient d’études réalisées chez de petits rongeurs. Les nourrir avec du sucre de façon intermittente reproduisait les effets de la cocaïne sur les niveaux de dopamine et de certains autres neurotransmetteurs dans leur cerveau (voir l’encadré). En fait, ces animaux se mettaient à adopter des comportements typiques de la dépendance aux drogues lorsque du sucre leur était fourni. D’abord le désir, la consommation excessive et la sécrétion de dopamine qui s’ensuit. Puis, un phénomène de tolérance qui les amenait à devoir manger de plus en plus de sucre pour combler leur envie. Finalement, des signes physiologiques indésirables de « manque » lorsque le sucre leur était retiré.

QUE SONT LES NEUROTRANSMETTEURS?

Les neurotransmetteurs sont des substances chimiques qui véhiculent l’information via les nerfs du corps et les neurones du cerveau. Ce sont donc des messagers. Quant à elle, la dopamine est le neurotransmetteur de la « récompense » et est associée à la sensation de plaisir.

Mais tout ceci est-il vrai chez l’humain? Pas exactement. Les études concluent pour la plupart que « l’addiction au sucre » n’en est pas réellement une chez l’humain. À l’opposé des rongeurs, une privation de sucre ne recrée pas les effets physiologiques de sevrage d’une drogue chez l’homme. Je parle ici de tremblements, d’angoisse, de transpiration et de nausées. De surcroit, contrairement aux drogues, le sucre n’est pas une substance dangereuse en soi pour le corps.

Réfléchissez. Quand vous dites être « accro au sucre », est-ce vraiment le sucre, le problème? Au cours de mes recherches, je suis tombée sur un article de scientifiques (référence 4), qui ont interrogé 1500 jeunes adultes sur leurs sensations d’addiction à la nourriture. Pour ce faire, ils ont répondu au Yale Food Adiction Scale (YFAS), un questionnaire qui permet de qualifier les symptômes d’«addiction » à la nourriture en se basant sur les critères dérivés de ceux utilisés pour les substances et les drogues. Sachez que vous ne seriez pas seul : 95% des participants rapportaient avoir vécu, dans la dernière année, au moins un épisode de «dépendance» à un aliment. Le symptôme le plus fréquent? Ressentir un désir persistant pour un aliment, sans succès de s’y soustraire ou de contrôler ce comportement (persistent desire or repeated unsuccessful attempt to quit), vécu par 94% des répondants. Par la suite, les participants devaient identifier avec quel type d’aliment ce symptôme était survenu. Étonnamment, les aliment « sucrés » (par exemple les bonbons, les fruits séchés ou les boissons sucrées), n’étaient en cause que chez 5% de ces individus. C’est plutôt aux aliments « salés riches en gras » (tels que les chips, la viande et le fromage), et ceux « plus ou moins sucrés riches en gras » (comme les gâteaux et le chocolat), que la majorité des répondants ont associé ce symptôme. De plus, les aliments de ces deux catégories étaient pointés du doigt par les individus ayant rapporté vivre des épisodes de « sevrage » suivant leur consommation. Mais si ce n’est pas le sucre le coupable, alors… c’est qui?

Difficile à dire, cependant, une tendance se dessine: il s’agit d’aliments très agréables à manger, pour la plupart riches en gras, en sel et en sucre, trois éléments qui apportent énormément de saveur. Sans étonnement, on les retrouve en grande quantité dans les produits ultra-transformés. Ces aliments ont comme autre point commun de se manger très rapidement et de ne pas être particulièrement bourratifs. Ainsi, vous les aurez assimilés avant que les signaux de faim et de satiété ne se rendent au cerveau (environ 20 minutes). Du côté plus psychologique, votre vie a probablement été marquée de beaux moments où ces aliments-douceurs ont été associés au plaisir. Un peu comme un fumeur qui prends toujours sa première cigarette du matin en lisant son journal, vous avez pu établir des connexions cérébrales entre la consommation de certains aliments et une activité ou un moment que vous avez apprécié, ce que vous pousse à vouloir revivre cette sensation. Mais encore, la colère, l’ennui et le stress peuvent tous influencer votre appétit et vos envies. De surcroit, la perception de son corps et les restrictions alimentaires augmentent la susceptibilité à vivre des « cravings » d’aliments moins nutritifs. Pour résumer simplement, l’aliment est bon, il vous procure du plaisir et il calme votre appétit, donc il n’est pas anormal de vouloir le manger et le re-manger.

Je trouve important de mentionner que les personnes qui vivent un réel problème de surconsommation de certains aliments ne seraient pas nécessairement accros au sucre, mais vivraient plus probablement un quelconque trouble alimentaire. Sans parler d’anorexie ou de boulimie, l’hyperphagie alimentaire est une maladie dont on entend de plus en plus parler. Pendant ses périodes de crises, la personne hyperphagique engloutira une quantité très importante d’aliments en peu de temps, parfois sans même se souvenir de ce qu’elle a ingéré. On est donc loin de simplement finir le sac de chips ou prendre une seconde part de gâteau. Le spectre des troubles alimentaires est large : si vous pensez en souffrir, demandez l’aide d’un nutritionniste et/ou d’un psychologue spécialisé.

En terminant, craignez pas les sucres, mais restez vigilent. De nombreux produits transformés et les sucres raffinés et même naturels (sirop d’érable et miel, par exemple), sont un concentré de molécules de sucre rapidement absorbées par l’intestin qui peuvent nuire à la santé si consommés en trop grande quantité. À l’opposé, lorsque le sucre est présent naturellement dans un aliment comme c’est le cas pour les fruits ou le lait (le lactose est un sucre), il n’arrive pas seul dans l’estomac. Les fruits apportent des fibres et le lait est une bonne source de protéines et contient un peu de gras, qui aident tous à ralentir la digestion et à combler votre faim. Il s’agit donc d’aliments source de sucre, oui, mais beaucoup plus intéressants pour votre santé. Il est ainsi illogique de vouloir éviter le sucre à tout prix. Pourquoi ne pas simplement s’allouer un petit plaisir à l’occasion, ou même à chaque jour, mais en quantité modérée et en savourant chaque bouchée? Restez à l’affut, mon prochain article vous donnera quelques conseils pratiques lorsqu’une «rage de sucre» survient. 

Références:

  1. Avena NM, Rada P, Hoebel GP. Evidence for sugar addiction: Behavioral and neurochemical effects of intermittent, excessive sugar intake. Neurosci Biobehav Rev. 2008;32(1):20-39. doi: 10.1016/j.neubiorev.2007.04.019
  2. DiNicolantonio JJ, O’Keefe JH, Wilson WL. Sugar addiction: is it real? A narrative review. Br J Sports Med. 2018;52(14):910-913. doi: 10.1136/bjsports-2017-097971.
  3. Hone-Blanchet A, Fecteau S. Overlap of food addiction and substance use disorders definitions: Analysis of animal and human studies. Neuropharmacology. 2014;85:81-90. doi: 10.1016/j.neuropharm.2014.05.019.
  4. Markus CR, Rogers PJ, Brouns F, Schepers S. Eating dependence and weight gain; no human evidence for a ‘sugar-addiction’ model of overweight. Appetite. 2017;114:64-72. doi: 10.1016/j.appet.2017.03.024.
  5. Westwater ML, Fletcher PC, Ziauddeen H. Sugar addiction: the state of the science. Eur J Nutr. 2016;55(Suppl 2):55-69. doi: 10.1007/s00394-016-1229-6.


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